Champion à la lutte, ça fait quoi ?
Kevin Owens se souvient encore de chaque étape de cette semaine magique d’août 2016.
Ça a commencé le lundi 22 août, quand la WWE a annoncé que son tout nouveau champion universel, Finn Balor, devait abandonner son titre en raison d’une blessure – bien réelle – à une épaule. Le scénario prévoyait donc que quatre lutteurs se battent le lundi suivant afin de mettre la main sur le titre vacant.
« Quand j’ai su que j’étais dans les quatre, j’avais un feeling que ça irait de mon bord. Mais tu n’as jamais de confirmation en avance, donc même si la décision est prise, tu ne le sauras pas nécessairement tout de suite », raconte Owens, joint vendredi dernier alors qu’il quittait Montréal à destination de Syracuse.
« Je vais toujours me rappeler de la fébrilité que je ressentais. Quand je suis rentré dans le bureau de Vince McMahon et qu’il m’a annoncé la nouvelle, quand l’arbitre a fait le compte de trois, quand Triple H [lutteur et vice-président de la fédération] m’a donné la ceinture, quand je suis revenu en coulisses et que j’ai appelé ma femme et mes parents... J’ai de la misère à choisir quel moment était le plus mémorable. »
Très rapidement, la vie d’Owens – Kevin Steen, de son vrai nom – a changé.
« J’étais de plus en plus en demande. Dès le lendemain, on m’a envoyé à Toronto pour rencontrer des représentants de Toys “R” Us. Ça s’est fait graduellement, je ne le réalisais pas sur le coup, mais ça venait avec plus de responsabilités. Le feeling était spécial. Des entrevues au téléphone, j’en avais presque chaque semaine. Ça a duré six mois, mais ça a passé tellement vite. C’est quand j’ai perdu la ceinture que j’ai réalisé que ça avait changé ma vie. »
Si vous lisez cet article avec votre fils de 7 ans, c’est le moment de passer à l’écran suivant. Voyez-vous, il appert que l’issue des combats de la WWE est déterminée à l’avance.
Dans un sport où l’identité du gagnant échappe au contrôle des athlètes, comment détermine-t-on qui est champion ?
Pierre-Carl Ouellet a lui aussi détenu une ceinture de championnat de la WWE (la WWF à l’époque). Avec Jacques Rougeau, il formait le tandem des Quebecers. De septembre 1993 à avril 1994, ils ont détenu les titres par équipe à trois reprises.
« Premièrement, ça prend du timing. Tu dois être à la bonne place au bon moment, rappelle l’ancien lutteur et analyste à RDS, mieux connu sous le surnom de PCO. À l’origine, ça devait être Finn Balor, mais il s’est blessé. Nous aussi, on est devenus champions par équipe pour des raisons X. Peut-être que les frères Steiner [champions avant eux] donnaient des maux de tête à Vince McMahon. »
Peu importe le contexte, l’exploit demeure de taille.
« La première fois que je suis devenu champion du monde par équipe, je n’ai pas dormi de la nuit ! On reparlait du combat, on était sur un nuage, se remémore Ouellet. C’était l’exploit d’une vie. C’est comme gagner la Coupe Stanley. Demande à un acteur ce que ça lui fait de gagner un Oscar. »
« Être champion, c’est la différence entre jouer quatre secondes dans un film comme figurant et avoir le rôle principal. »
— Pierre-Carl Ouellet
Kevin Owens utilise lui aussi la métaphore du cinéma.
« C’est le même principe qui fait en sorte qu’un réalisateur va choisir tel acteur pour son rôle principal », explique le Marievillois.
« Plusieurs facteurs peuvent jouer. Mais au bout du compte, les dirigeants pensent que la personne à qui ils donnent la ceinture va tirer son épingle du jeu, va contribuer au show, va donner une bonne performance. Parfois, ça peut être pour récompenser un gars pour ses années de sacrifice, comme avec Mick Foley [en 1999]. Moi, c’était plus que Vince McMahon était content de moi et voulait voir ce que je pouvais faire comme champion. »
Le 5 mars dernier, Kevin Owens affrontait Bill Goldberg, une ancienne gloire des années 1990 et 2000 qui est de retour dans l’arène. En très exactement 21 secondes, Goldberg a pulvérisé Owens pour devenir le nouveau champion du monde. Six mois de règne qui prennent fin en quelques secondes...
Dans la lutte comme dans tout domaine, il y a des ego à gérer, et un tel scénario n’aurait pas nécessairement été accepté par tous les champions. « Il y aura toujours des lutteurs plus inquiets de préserver leur statut que de donner un bon show », soutient Owens.
« Perdre la ceinture en 20 secondes, ce n’est pas facile, rappelle Ouellet. Kevin aurait pu s’enfler la tête avec sa position, il aurait pu dire à Triple H que ça n’a pas d’allure de perdre comme ça après six mois. Il ne l’a pas fait. Il est meilleur que moi pour ça ! Ensuite, il s’est fait battre en moins d’une minute par Brock Lesnar au Madison Square Garden. Ce n’est jamais le fun.
« Mais Kevin est assez intelligent pour voir le portrait d’ensemble. Dans ce cas-là, ils ont pris cette décision pour mieux vendre Goldberg-Lesnar comme combat principal à WrestleMania. Il est conscient que ça va aider la compagnie à avoir de meilleures cotes d’écoute. Je le trouve fort entre les deux oreilles. »
« Ça fait partie de la job, laisse tomber Owens. Tu ne peux pas être champion toute ta vie. Je sais que j’ai fait du bon travail, les dirigeants aussi. Il y a des raisons de business pour lesquelles il fallait passer à autre chose. Mais je suis content et j’ai hâte à la prochaine run. Je sais que j’aurai une autre ceinture, celle-là ou une autre.
« Que je la perde en 15 secondes ou en 15 minutes, ça ne change rien à mes yeux. Tant que je reviens backstage et que Vince McMahon est content, c’est ça, l’important. Cette fois-là, il l’était. »
Vendredi, au Centre Bell, Kevin Owens affrontera son compatriote québécois et vieil ami Sami Zayn. Il n’y aura donc pas de ceinture en jeu, mais ce sera assurément le combat le plus attendu du public montréalais. Si Owens et Zayn luttent comme ils savent si bien le faire, Vince McMahon devrait de nouveau être content.